L’Echo, 20 mai 2017. Michel Lauwers.
Dans l’univers du venture capital, Profinpar bouche un trou en ciblant les PME ayant besoin de 2 à 5 millions pour croître. Il y ajoute la manière en fédérant 40 entrepreneurs emblématiques pour l’y aider.
Nombre de petites et moyennes entreprises belges en général, et wallonnes en particulier, voient leur développement freiné par un manque de capitaux ou un problème de transmission. C’est surtout dans la tranche des « small caps » qu’il y a un trou à combler: les PME employant un peu plus de vingt personnes et affichant une valeur d’entreprise entre 2 et 15 millions d’euros. Les entreprises plus jeunes, telles que les start-ups, peuvent s’adresser à une foule d’instruments de financement privés ou publics qui leur sont dédiés, les plus âgées et plus grosses trouvent des réponses du côté des sociétés de venture capital ou d’investissement ayant pignon sur rue en Belgique, voire au-delà. C’est pour offrir une réponse à ce « ventre mou » du corps industriel belgo-wallon que Pierre Robin et quelques investisseurs qui l’avaient accompagné précédemment viennent de constituer le fonds d’investissement Profinpar.
Celui-ci va investir une trentaine de millions d’euros dans une douzaine de ces PME afin de soutenir leur croissance, de les optimiser ou de régler le problème de succession à leur tête. Pour valider ses choix d’investissement et s’assurer de disposer de toute l’expertise nécessaire, Pierre Robin a convaincu une série de grands entrepreneurs de la place de monter à bord du navire. C’est ainsi que des Rodolphe Collinet (CEO du groupe Carmeuse), François Blondel (OncoDNA, KitoZyme), Françoise Belfroid (Ronveaux), Étienne Rigo (Octa+), Thierry Quertinmont (Trafic), Olivier Legrain (IBA), Erik Maes (Père Olive) ou autre Jean-Pierre Delwart (Eurogentec) ont à la fois investi dans Profinpar et accepté de monter ponctuellement au front pour conseiller et accompagner les PME participées opérant dans leur secteur. Un modèle original, dont le « capital séduction » a déjà agi en permettant de rallier quarante patrons de ce calibre au projet.
Du « deal club » au fonds
Ingénieur et docteur en sciences, Pierre Robin a débuté sa carrière au service du groupe Eternit, avant de rallier la première équipe de capital-risque créée par la Générale de Banque et logée dans Synerfi. Après huit ans et nombre de transactions sous cette enseigne, il a créé Profinpar avec six hommes d’affaires en 1997: il y était le seul à occuper des fonctions opérationnelles, mais n’en était pas actionnaire. Depuis, cette équipe-là a vieilli et certains associés s’en sont retirés. « Il y a quatre ans, j’ai retrouvé ma liberté et on a constitué un nouveau tour de table avec à la fois des enfants des anciens et de nouveaux investisseurs. Cette fois, je suis devenu moi aussi investisseur. On a voulu pérenniser la belle histoire entamée. On a réalisé vingt-six transactions et investi 25 millions d’euros avec ce deal club dans douze entreprises. » Cette Profinpar n° 2 a notamment pris sous son aile Connex Group, la fusion de trois installateurs de systèmes de sécurité qui est devenue en quelques années un leader belge. Mais la structure fonctionnait comme un « deal club », avec ses limitations: « Sur chaque investissement,les associés avaient le droit de participer ou non; il fallait chaque fois les convaincre, c’était lent. »
D’où l’idée de lancer un Profinpar n° 3. Cahier des charges: doter le fonds d’une équipe de gestionnaires permanents, ouvrir le tour de table en attirant des dirigeants d’entreprises pour leurs compétences, avoir du capital à disposition, mobilisable par tranches en fonction des investissements, disposer d’un processus de décision efficace, conserver le nom de Profinpar car il est connu et jouit d’une aura positive en raison de ses résultats passés.
Il y a un an et demi, Pierre Robin a pris son bâton de pèlerin. Certains investisseurs du n° 2 l’ont suivi, tel Jean-Pierre Delwart, ex-CEO d’Eurogentec; d’autres ont répondu en nombre à son nouvel appel. Le cas, notamment, de François Blondel: « Je partage leur analyse qui montre qu’il y a un trou dans le marché en termes de soutien aux entreprises alors qu’il y a d’excellents projets chez nous qui valent la peine d’être soutenus, explique-t-il. J’apprécie le fait que ce soit un fonds d’entrepreneurs pour des entrepreneurs: c’est aussi mon ADN. Cela reste bien sûr un investissement financier, mais il y a une dimension supplémentaire par rapport aux fonds classiques. Enfin, je connais bien Pierre Robin, il a réalisé de belles choses. Je trouve qu’il méritait mon soutien! »
Le ticket d’entrée est fixé à 250.000 euros minimum. Aux côtés des partenaires entrepreneurs, le fonds a aussi fédéré des investisseurs patrimoniaux et deux institutionnels, Belfius et la SFPI. À ce jour, l’ensemble a pris des engagements pour 33 millions d’euros.
L’équipe
Pour l’aider à piloter ce véhicule, Pierre Robin a recruté deux pointures, Thomas Walgraffe et Dimitri de Failly. Ingénieur et titulaire d’un executive MBA à l’Insead, le premier a fait ses classes chez Paul Wurth, puis CMI, où il a notamment dirigé le secteur Industrie. Diplômé de l’IAG (Louvain-la-Neuve), le second a fait du conseil, de l’intégration de systèmes et de la stratégie chez PwC avant d’oeuvrer une dizaine d’années au service du family office lié à Guy Ullens de Schooten. « À nous trois, nous avons déjà négocié une cinquantaine de deals », note Robin.
« Le fonds a retenu six thèmes d’investissement, détaille Dimitri de Failly: l’agroalimentaire, le monde de l’ingénieur, la qualité de la vie, l’environnement et l’habitat, les services, la distribution et les marques. Nous avons déjà effectué un premier investissement dans les services: il s’agit du cabinet d’experts comptables, fiscaux et juridiques ODB & Associés, une équipe de trente experts qui ont aussi pour objectif de jouer un rôle de CFO externe et qui veulent se développer par croissance externe. »
Les fiduciaires constituent encore un secteur très morcelé en Belgique: il y a place pour une consolidation. Pour l’heure, l’équipe planche sur un deuxième projet d’investissement. « Sur cent dossiers, on en retient dix pour analyse approfondie et deux aboutissent à un investissement. » Une fois un dossier retenu, « nous choisissons parmi les 40 entrepreneurs celui ou ceux dont l’expertise présente le plus d’affinités avec le secteur ou l’activité, pour qu’il valide le projet, explique Thomas Walgraffe. Puis quand on y investit, cet entrepreneur partenaire monte avec nous au conseil d’administration de la cible. » La manière de tirer le maximum de parti de sa composante « grands patrons ».